filmaholic

En sortant des salles obscures.

Dimanche 5 juin 2011 à 11:39

Eternal sunshine of the Spotless mind,

Michel Gondry.

 

http://filmaholic.cowblog.fr/images/19253739jpgr760xfjpgqx20100222062118.jpgQui n'a jamais pensé à supprimer toutes traces d'un amour passé ? A en effacer jusqu'au souvenir même de la personne avec qui l'on a passé une semaine, deux mois, trois ans ? Juste oublier, l'oublier. Et si cela était possible ? Et si, en une nuit, tout cela s'évaporait, ne vous laissant alors pour seule et unique vestige de vos souvenirs, une mauvaise gueule de bois ? Et si, alors que vous supprimez vos souvenirs, vous vous rendez compte que cette personne là vous est essentielle ? Et si...

 

Et si, un matin disons le jour de la Saint Valentin vous décidez sur un coup de tête, ce qui n'est pas dans vos habitudes, de sécher le travail et prendre un train pour Montauk ? En chemin, vous rencontrez cette Clémentine – Kate Winslet – une jeune fille aux cheveux bleu ruine. Elle déteste l'adjectif « nice » et les jeux de mots sur son prénom. Elle est impulsive, angoisse pour un rien, pleure, se vexe. Vous êtes charmé, vous passez la soirée et la nuit avec elle. Elle choisit de dormir chez vous et va chercher sa brosse à dent. Est-ce son naturel ou sa nonchalance qui vous donne cette impression-là ? Toujours est-il que cette Clémentine vous est bien familière. L'instant d'après, vous êtes en larmes.

 

C'est ainsi qu'Eternal Sunshine of the spotless mind commence, nous intriguant dès le début par son propos et sa structure. A partir de ce moment, tout le film se construit selon deux mouvements principaux et essentiels : le premier, correspond à l'effacement progressif des souvenirs de Joel – Jim Carrey. Son histoire avec Clémentine défile devant nos yeux, mais, dans un ordre chronologique inverse : aussi étrange que cela puisse paraitre, leur histoire nous est présentée telle un compte à rebours, et au bout de celui-ci se trouve l'effacement total de leur amour. Chaque souvenir découvert disparait aussi tôt. Chaque instant volé, de leurs disputes à leur discussions les plus intimes, est lentement dissous. Et Joel va bien vite trouver cela insoutenable. Si les instants vécus sont éphémères, d'autant plus les instants en compagnie l'être cher, leurs souvenirs est sensé perdurer, s'inscrire dans votre mémoire, s'inscrire dans votre vie. Dores et déjà leur effacement rajoute à la nostalgie une angoisse d'abandon, de perte d'une partie de soi Car c'est bien là le deuxième mouvement du film : Clémentine est essentielle à Joel. Les souvenirs défilent et lui se rend compte petit à petit de l'erreur qu'il a faite. La colère du début va vite laisser place à des sentiments plus modérés. Ce qui les as séparés va bientôt paraître futile, petites choses inhérentes à tout couple et qui se règlent avec un peu de communication et de concession.

 http://filmaholic.cowblog.fr/images/18381643jpgr760xfjpgqx20040608065151.jpg


Car c'est bien là que semble se trouver le propos de Gondry. Une histoire d'amour peut être belle, les sentiments peuvent être sincères, pour autant, la vie de couple n'est pas toute rose. Si cette histoire est onirique, elle n'en reste pas pour le moins vraie, c'est à dire éloignée de tout propos idéalistes. Un couple est fait de désaccords, de différents, d'incompréhensions, le tout est de savoir y faire face. Clémentine en est consciente. « Tu vas t'ennuyer, voir mes défauts ». Et pourtant, Joel accepte, une nouvelle fois. Ce qui sont fait pour être ensemble finiraient-ils donc toujours main dans la main à la fin du livre ? Leur cas n'est pas isolé, Marie – Kristen Dunst- ne retombe-t-elle pas dans les bras d'Howard, scientifique à la base du processus d'effacement, après avoir subit le même sort que Joel et Clémentine ?

 

Ainsi, la « nouvelle vie n'attendant que vous » promise par l'entreprise Lacuna une fois vos souvenirs effacés, en plus d'avoir l'aspect d'une mauvaise publicité, se révèle être mensongère. Les personnes aussitôt séparées, se retrouvent, et retombent amoureux. Car il est certaine chose que la science ne peut maitriser. Les souvenirs, le libre arbitre ou encore l'amour en font partie. Et ainsi la complexité du montage, que ce soit par sa représentation de la temporalité ou de l'espace, qui sont sans cesse décousus tel un puzzle, semble être le miroir de la complexité de l'être humain en général. Le film est ainsi parfois insaisissable. Gondry jongle entre le présent et les souvenirs. les conversations inventées entre Joel et Clémentine se fondent dans cette rétrospective de moment vécus. L'espace des souvenirs est incohérent : nous passons d'un lieu à un autre, sans lien logique, comme la mémoire passe d'une idée à une autre. Les souvenirs sont altérés et incomplets. Ils sont un mélange de fantasmes et de vécus, des rêves éveillés, en quelque sortes.

 

Le climax du film, c'est à dire étrangement leur première rencontre, grâce à cette forte dimension onirique, n'en est que plus fort. La mise en perspective des souvenirs et des regrets crée une équation unique. La première rencontre dans un film romantique, c'est cette chose étrange, magique et ideale qui n'existe, sauf rares exceptions, que dans cet espace filmique. Bien souvent, elle consiste en un coup de foudre à l'eau de rose et l'explosion des sentiments se fait généralement rapidement après qu'elle ait eu lieu. Jouant avec ces codes, c'est ce qui va concrètement se passer entre Joel et Clémentine, et pourtant. Et pourtant leur seul et unique « je t'aime », prononcé à près d'1h30 de film, nous semble terriblement vrai et réfléchit. Ce « je t'aime » est loin de la superficialité d'une déclaration faite à une inconnue. Leur première rencontre correspond au point 0 du compte à rebours, certes, mais ce point 0 symbolise avant tout leur renouveau.

 

Et nous voici de retour au début du film. La boucle est bouclée. Ils se rencontrent à Montauk comme le demandait Clémentine, le jour de la Saint Valentin et retombent amoureux. Leur amour est comme cette glace sur laquelle ils s'élancent pour regarder les étoiles : bel et bien incassable malgré les fêlures de leur désaccords. Quoiqu'il arrive, s'ils ont la force de rester en dehors des faiblesses que sont ces craquelures dans la glace, ils pourront continuer à regarder les étoiles tout en se reposant sur la force de leurs sentiments, et ainsi être heureux, tout simplement.

Cinématographiquement vôtre,
V.

http://filmaholic.cowblog.fr/images/eternalsunshine.jpg

Mardi 31 mai 2011 à 17:29

 

 

The Tree of Life,

Terrence Malick

 

 

http://filmaholic.cowblog.fr/images/TreeofLifeFilm-copie-1.jpg

Ce qui est tout de suite marquant dans The Tree of Life, c'est le caractère insaisissable des choses. En tant que spectateurs, nous cherchons à comprendre, à nous situer, à trouver des repères. Mais toutes ces choses nous sont immédiatement et indéniablement refusées, dès les premières scènes du film. Les visages des personnages nous sont automatiquement cachés, on ne nous donne à voir que leurs nuques, dans des plans qui jouent à chaque instant sur nos attentes. Un espoir nous est donné, quand la caméra nous concède un plan sur le visage de Mrs. O'Brien (à qui, d'ailleurs, aucun prénom n'est accordé durant tout le film), qui néanmoins détourne le regard, par pudeur ou refus de se livrer à la caméra. Nouvelle déception chez le spectateur, redoublée d'une frustration évidente et d'un malaise latent.

 

Après ces quelques minutes d'introduction, les visages nous sont alors découverts dans des plans si serrés qu'ils nous empêchent maintenant de voir quoi que ce soit d'autre. Passant d'une extrême à l'autre, le film met à nouveau quelques minutes avant de se stabiliser finalement dans des plans plus « classiques » en quelque sorte, puis nous emporte alors dans un tourbillon d'images inattendu, accumulant maintenant les inserts de paysages sereins ou chaotiques, au gré des personnages auxquels ils sont associés.

 

Les règles du jeu sont alors posées, et nous ne pouvons que les accepter: la toute puissance de la caméra sur les images, les choix – évidents tout autant qu'arbitraires – d'un cinéaste qui veut nous emmener dans une épopée visuelle de laquelle on ne revient pas indemne. Ce voyage, à travers la vie et la mort, la naissance et la renaissance, le microcosme et le macrocosme, est une expérience de cinéma originale, aussi bien esthétique que plus « globale ». Parce qu'ici, Terrence Malick ne retrace pas seulement l'histoire de cette famille déchirée par la mort d'un fils. Ce point de départ à la narration, qui constitue un motif récurrent important du film, ne recouvre néanmoins pas tout le discours de celui-ci, qui semble écartelé entre cette tragédie à échelle humaine, et une certaine cosmogonie visuelle qui, repassant par tous les stades de l'Humanité, emprunte au 2001 de Stanley Kubrick tout en justifiant de manière extrêmement progressive le deuil par lequel la famille passe.

 

Ce retour à la Genèse du Monde se fait aux travers d'une voix off éclatée et partagée par plusieurs personnages. Leurs dires sont la plus souvent liés à une croyance insistante en un Dieu – ou plutôt un désir d'y croire, et une désillusion de n'y avoir que trop cru. Les images associées à ces paroles rejettent au contraire l'idée d'un créationnisme traditionnel, pour recourir à une réalité des faits, scientifique, et à un passage progressif vers la religion plus personnelle que Terrence Malick a développé dans ses films, le panthéisme. Dans The Tree of Life, c'est bel et bien dans la nature et dans la vie animale que l'on retrouve les traces de l'existence d'un dieu, dans ce qui est définit comme « le choix entre l'état de nature et l'état de grâce ».

 

Pourtant, au-delà-même d'un discours un tant soit peu religieux, cette succession d'images représentant la Création du Monde reprennent de manière métaphorique les étapes par lesquelles passe la famille après la perte subite du fils. Dans toute cette partie stellaire du film, on retrouve les symboles de la naissance, croissance puis mort de cet être cher, qui ici est de manière imagée la planète Terre – née du magma chaotique, elle voit sa croissance, son développement, puis son extinction par un soleil brûlant. Mais au-delà de l'image de la vie du fils défunt, cette succession d'images et de sons sont également la métaphore de l'évolution progressive des parents à travers les étapes du deuil, et de la renaissance après une tragédie. Ils sont au seuil d'une nouvelle vie, d'un nouveau commencement dans lequel ils doivent prendre leurs marques, ne pouvant plus vivre la vie qu'ils menaient avant d'avoir perdu leur fils.

 

Ce rapprochement entre vision mythique de la création du monde et tragédie à échelle humaine a pour conséquence de créer la représentation d'un Temps unique, qui relie et réconcilie passé et présent dans une même réalité – cette nouvelle perception du temps est également renforcée par des sauts plus ou moins fréquents entre le passé et le présent tels que le connaissent les membres restants de la famille O'Brien. Nous voyons ainsi à tour de rôle le personnage de Brad Pitt élever à la dure ses trois enfants sous les yeux impuissants de sa femme, et le jeune Jack ensuite devenu adulte, interprété alors par un Sean Penn désabusé et marqué à vie par la tragédie qu'ils ont connu. Mais cette création d'une temporalité globale et unique est à double tranchant tout au long du film: alors que le montage qui rapproche les personnages et l'espace suggère un renouveau et un dépassement de la situation, ainsi qu'une réconciliation des protagonistes dans la scène onirique de la fin du film, ce mélange omniprésent entre présent et passé rappelle sans arrêt la tragédie à Jack, le personnage de Sean Penn, pour qui le passé reste bel et bien (omni)présent.

 

Nos sentiments à l'égard des personnages évoluent à maintes reprises tout au long du film: tout d'abord tristes face à la mort d'un de leurs fils, nous sommes ensuite attendris par les jeunes parents face à la naissance de leur premier enfant. Très vite, la dureté et la violence émanant du personnage de Brad Pitt en font un personnage de plus en plus apathique, au contraire de la mère, qui semble tendre et aimante. Pourtant, cette opposition qui paraît bien simple, est très vite remise en question par la mise en scène: à une époque où le divorce est impensable, la mère se sent prise entre deux feux. Elle refuse intérieurement les violences commises envers ses enfants, mais ne peut néanmoins pas décemment émettre ses objections face au « chef de famille ». Par son silence, elle devient pourtant la complice de ces violences quotidiennes. Au contraire, le père pourtant si désagréable est relevé au rang de celui qui a voulu préparer ses fils à la dure réalité de la vie dès leur plus jeune âge. L'opposition entre les deux parents n'est plus si franche, et si l'une représente la grâce et le second la nature, ce n'est que pour mieux se mêler dans l'esprit de leur jeune fils, qui avoue lui-même que ces deux inspirations dans la vie ne cesseront de se combattre l'une l'autre.

 

Cinématographiquement vôtre,
D.
 

Mardi 31 mai 2011 à 16:14


Chéri,

Stephen Frears.

 

http://filmaholic.cowblog.fr/images/19072599jpgr760xfjpgqx20090311054536.jpgChéri, c'est l'histoire en apparence simple d'une courtisane, Léa – Michelle Pfieffer- se refusant à l'amour et qui, sans s'en rendre compte, va se retrouver éprise de Fred, Chéri -  Rupert Friend. Cette adaptation du roman de Colette aurait pu, dans des mains moins délicates que celles de Frears, se transformer en une soupe mièvre et indigeste. Il est difficile de tourner des histoires d'amour sans que celles-ci ne soient tout de suite « trop » : trop pleine d'amour, trop pleine de souffrances, trop pleine de sentiments en somme et qui, de ce fait, perdent de leur authenticité. Toute la beauté du film de Frears se trouve dans cette justesse qu'il a à décrire la relation complexe qu'il existe entre Léa et Fréd.
 

Léa et Fréd, ou plutôt Léa et Chéri, c'est l'histoire d'une prostituée sur le déclin et d'un jeune et beau dandy, c'est l'histoire d'une femme qui a longtemps désiré rester libre de toutes emprises sentimentales et d'un enfant qui, devenant adulte, ne peut se résoudre à écourter sa jeunesse en restant avec une veille femme. Car au final, c'est bien de cela qu'il est question, d'un enfant qui, longtemps délaissé de sa mère, va se retrouver durant 6 ans sous la croupe bienveillante et maternelle de Léa, « nounoune » comme il se plait à l'appeler. Nounoune qui le chouchoutera et le coupera de tout besoin matériel durant 6 années, comme on préserve un enfant des réalités de la vie en espérant le garder toujours à nous. Et c'est là que ce trouve le problème. Fréd ne restera pas éternellement. Un mariage arrangé l'arrachera à leur relation. Et ce goût de jeunesse, pourtant si fade face à une Michelle Pfieffer resplendissante, deviendra indispensable aux yeux de Fréd. Comme le souligne la voix off d'une manière très légère, presque à la Woody Allen, Nounoune aurait du avoir quelques années de moins, et Chéri plus de recul sur ce qu'il ressentait pour Léa, et ainsi, leur histoire aurait pu être magnifique.
 

Mais voilà, toute cette histoire, leur histoire, se transforme bien vite en un désamour. Rien ne sera montré à l'écran de leur 6 années de relations. Plus encore, les longues ellipses récurrentes tout au long du film en font un scénario décousu. Ce n'est pas l'histoire d'un couple se séparant, c'est l'histoire de deux personnes solitaires dont les chemins se sont croisés et unis un jour mais qui se retrouvent maintenant face à eux même et sont emprisonnés dans des sentiments qui n'appartiennent qu'à eux. A un tel point que nous pouvons presque nous demander si ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre était bien authentique. Car au final, leur notion d'amour réside dans ce qu'il leur reste de souvenir (dont les images mentales sont principalement sexuelles ou sublimées) et non dans ce qu'ils vivent. Ils sont emprisonnés dans leur souffrance et se créent des fantasmes autour de la vie de l'autre. Tant et si bien qu'ils sont incapables de se retrouver. Incapables de recréer ce qu'ils étaient ensemble. Car dorénavant Nounoune n'a plus cette image de femme intouchable et sans défauts, dont le détachement sentimental lui confèrait recul et mesure. Nounoune se laisse dorénavant croire à un avenir avec Chéri. Un avenir aventureux, irréel et précipité, comme ci toutes ces années de retenue s'exprimaient enfin et qu'elle avait peur de ne pas avoir le temps de les vivre.


http://filmaholic.cowblog.fr/images/19052948jpgr760xfjpgqx20090204104842.jpg


Car c'est bien ce dont il est question tout au long de ce film : Le temps. Ce temps perdu que les prostituées à la beauté fanée essayent de rattraper. Elles portent de fausses perles qui semblent plus resplendissantes que ce qu'il reste de leur sourire. Elle fréquentent les bars branchés, tel des fantômes parmi les courtisanes plus jeunes, plus belles. Elles radotent leur vieux souvenirs d'amour sulfureux avec d'anciens rois. Bref, elles se raccrochent comme elles peuvent à ce qu'il leur reste, comme à des bouées en pleine mer. Et Léa dans tout ca, essaye de ne pas finir comme elles. En se raccrochant à cet amour qu'elle a toujours nié vivre par le passé, elle espère ne pas se faner comme les autres l'on fait. Elle chouchoute « chéri » comme le dernier élixir de jouvence qu'il lui reste. Se rêve à croire à vivre de folles aventures avec lui, comme si elle avait 20 ans. Et tout doucement, derrière l'apparence froide d'une femme sûre d'elle, désirable et désirée, se révèle une femme ayant peur de la solitude, seule chose qui lui reste alors, conséquence de sa vie décousue. Et ainsi, par un long regard caméra, le film se clos, et le destin de Léa nous rappelle alors celui de Mme de Merteuil, filmé quelques années plus tôt dans les Liaisons dangereuses. Toutes deux, des femmes aimées mais effrayées par l'amour; désireuses de libertés et dont la beauté se fanant peu à peu les laisse tout d'un coup bien seule face à elle même.
 

Cinématographiquement vôtre.
V.

<< Page précédente | 1 | Page suivante >>

Créer un podcast