filmaholic

En sortant des salles obscures.

Mardi 31 mai 2011 à 17:29

 

 

The Tree of Life,

Terrence Malick

 

 

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Ce qui est tout de suite marquant dans The Tree of Life, c'est le caractère insaisissable des choses. En tant que spectateurs, nous cherchons à comprendre, à nous situer, à trouver des repères. Mais toutes ces choses nous sont immédiatement et indéniablement refusées, dès les premières scènes du film. Les visages des personnages nous sont automatiquement cachés, on ne nous donne à voir que leurs nuques, dans des plans qui jouent à chaque instant sur nos attentes. Un espoir nous est donné, quand la caméra nous concède un plan sur le visage de Mrs. O'Brien (à qui, d'ailleurs, aucun prénom n'est accordé durant tout le film), qui néanmoins détourne le regard, par pudeur ou refus de se livrer à la caméra. Nouvelle déception chez le spectateur, redoublée d'une frustration évidente et d'un malaise latent.

 

Après ces quelques minutes d'introduction, les visages nous sont alors découverts dans des plans si serrés qu'ils nous empêchent maintenant de voir quoi que ce soit d'autre. Passant d'une extrême à l'autre, le film met à nouveau quelques minutes avant de se stabiliser finalement dans des plans plus « classiques » en quelque sorte, puis nous emporte alors dans un tourbillon d'images inattendu, accumulant maintenant les inserts de paysages sereins ou chaotiques, au gré des personnages auxquels ils sont associés.

 

Les règles du jeu sont alors posées, et nous ne pouvons que les accepter: la toute puissance de la caméra sur les images, les choix – évidents tout autant qu'arbitraires – d'un cinéaste qui veut nous emmener dans une épopée visuelle de laquelle on ne revient pas indemne. Ce voyage, à travers la vie et la mort, la naissance et la renaissance, le microcosme et le macrocosme, est une expérience de cinéma originale, aussi bien esthétique que plus « globale ». Parce qu'ici, Terrence Malick ne retrace pas seulement l'histoire de cette famille déchirée par la mort d'un fils. Ce point de départ à la narration, qui constitue un motif récurrent important du film, ne recouvre néanmoins pas tout le discours de celui-ci, qui semble écartelé entre cette tragédie à échelle humaine, et une certaine cosmogonie visuelle qui, repassant par tous les stades de l'Humanité, emprunte au 2001 de Stanley Kubrick tout en justifiant de manière extrêmement progressive le deuil par lequel la famille passe.

 

Ce retour à la Genèse du Monde se fait aux travers d'une voix off éclatée et partagée par plusieurs personnages. Leurs dires sont la plus souvent liés à une croyance insistante en un Dieu – ou plutôt un désir d'y croire, et une désillusion de n'y avoir que trop cru. Les images associées à ces paroles rejettent au contraire l'idée d'un créationnisme traditionnel, pour recourir à une réalité des faits, scientifique, et à un passage progressif vers la religion plus personnelle que Terrence Malick a développé dans ses films, le panthéisme. Dans The Tree of Life, c'est bel et bien dans la nature et dans la vie animale que l'on retrouve les traces de l'existence d'un dieu, dans ce qui est définit comme « le choix entre l'état de nature et l'état de grâce ».

 

Pourtant, au-delà-même d'un discours un tant soit peu religieux, cette succession d'images représentant la Création du Monde reprennent de manière métaphorique les étapes par lesquelles passe la famille après la perte subite du fils. Dans toute cette partie stellaire du film, on retrouve les symboles de la naissance, croissance puis mort de cet être cher, qui ici est de manière imagée la planète Terre – née du magma chaotique, elle voit sa croissance, son développement, puis son extinction par un soleil brûlant. Mais au-delà de l'image de la vie du fils défunt, cette succession d'images et de sons sont également la métaphore de l'évolution progressive des parents à travers les étapes du deuil, et de la renaissance après une tragédie. Ils sont au seuil d'une nouvelle vie, d'un nouveau commencement dans lequel ils doivent prendre leurs marques, ne pouvant plus vivre la vie qu'ils menaient avant d'avoir perdu leur fils.

 

Ce rapprochement entre vision mythique de la création du monde et tragédie à échelle humaine a pour conséquence de créer la représentation d'un Temps unique, qui relie et réconcilie passé et présent dans une même réalité – cette nouvelle perception du temps est également renforcée par des sauts plus ou moins fréquents entre le passé et le présent tels que le connaissent les membres restants de la famille O'Brien. Nous voyons ainsi à tour de rôle le personnage de Brad Pitt élever à la dure ses trois enfants sous les yeux impuissants de sa femme, et le jeune Jack ensuite devenu adulte, interprété alors par un Sean Penn désabusé et marqué à vie par la tragédie qu'ils ont connu. Mais cette création d'une temporalité globale et unique est à double tranchant tout au long du film: alors que le montage qui rapproche les personnages et l'espace suggère un renouveau et un dépassement de la situation, ainsi qu'une réconciliation des protagonistes dans la scène onirique de la fin du film, ce mélange omniprésent entre présent et passé rappelle sans arrêt la tragédie à Jack, le personnage de Sean Penn, pour qui le passé reste bel et bien (omni)présent.

 

Nos sentiments à l'égard des personnages évoluent à maintes reprises tout au long du film: tout d'abord tristes face à la mort d'un de leurs fils, nous sommes ensuite attendris par les jeunes parents face à la naissance de leur premier enfant. Très vite, la dureté et la violence émanant du personnage de Brad Pitt en font un personnage de plus en plus apathique, au contraire de la mère, qui semble tendre et aimante. Pourtant, cette opposition qui paraît bien simple, est très vite remise en question par la mise en scène: à une époque où le divorce est impensable, la mère se sent prise entre deux feux. Elle refuse intérieurement les violences commises envers ses enfants, mais ne peut néanmoins pas décemment émettre ses objections face au « chef de famille ». Par son silence, elle devient pourtant la complice de ces violences quotidiennes. Au contraire, le père pourtant si désagréable est relevé au rang de celui qui a voulu préparer ses fils à la dure réalité de la vie dès leur plus jeune âge. L'opposition entre les deux parents n'est plus si franche, et si l'une représente la grâce et le second la nature, ce n'est que pour mieux se mêler dans l'esprit de leur jeune fils, qui avoue lui-même que ces deux inspirations dans la vie ne cesseront de se combattre l'une l'autre.

 

Cinématographiquement vôtre,
D.
 

Par Rosedray le Mercredi 8 juin 2011 à 21:06
Belle critique et belle perception de ce film magnifique.

Ma critique : http://jedevoreleslivres.blogspot.com
 

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